Innovation, vous avez dit innovation ?

Nicolas Bariteau

Écrit par Nicolas Bariteau

Ordinateur, informatique, Internet, numérique… Ces mots reviennent tous les jours dans nos conversations. Mais quelle est leur histoire ? Qui sont ces innovateurs peu connus du grand public qui ont pourtant contribué à transformer notre monde en le faisant passer dans l’ère numérique ? Comment définir le processus d’innovation qui lui est propre et imprègne notre économie ?

De l’invention de l’ordinateur aux innovations de l’intelligence artificielle

J’ai décidé cette semaine de vous parler d’un livre passionnant que j’avais lu avec avidité lors de sa sortie, il y a plus de 5 ans :  Les innovateurs – Comment un groupe de génies, hackers et geeks a fait la révolution numérique. Tel est le titre du livre écrit par Walter Isaacson, le biographe référent de Steve Jobs, publié en octobre 2015, et aujourd’hui devenu une référence en terme de vulgarisation. L’auteur nous plonge avec ce livre dans l’histoire de l’informatique et de l’électronique pour mieux nous faire comprendre ces technologies que nous utilisons quotidiennement, qu’on le veuille ou non, depuis plusieurs décennies, et qui ont pris une place centrale dans nos vies professionnelles et personnelles. Il remonte assez loin et nous fait traverser les siècles permettant à certains scientifiques de revenir sous les feux des projecteurs afin de retracer l’évolution progressive des innovations ayant conduit à la création du « computer », puis d’Internet et du Web, jusqu’à celle des Intelligences Artificielles (IA).W. Isaacson aborde le sujet en traitant successivement : les ordinateurs, la programmation, le transistor (Bell), le circuit intégré ou puce électronique (par Texas Instruments et Fairshild Semiconductor), les jeux vidéo et le rôle d’Atari, Internet, l’ordinateur individuel, le logiciel, »En ligne », et enfin le Web.

Mais ne vous fiez pas à ce découpage apparemment technologique du sujet. Chacunes de ces parties est l’occasion de nous faire découvrir des innovateurs incroyables et de nous plonger au coeur de leurs vies et découvertes et dont certains reviennent à plusieurs reprises tout au long de l’ouvrage. A travers leurs portraits nous découvrons un melting-pot d’influences et de collaborations, de rivalités et de controverses, où s’affrontent les égos et les visions parfois opposées, souvent partagées.

    Les innovateurs, une histoire d’hommes…et de femmes

    Ce récit commence au XIXème siècle avec Ada, comtesse Lovelace, fille de Lord Biron, et Charles Babbage, et le début des réflexions sur des machines analytiques. Dès ce premier chapitre, Isaacson veut nous rappeler le rôle central et pourtant méconnu des femmes dans la révolution informatique. Pour la plupart mathématiciennes, bien des machines n’auraient pu fonctionner sans elles au début de l’informatique dans les années 1940 et 1950, grâce aux programmes qu’elles concevaient, autrement dit l’encodage des instructions qui dictent au matériel les opérations à exécuter. Parmi celles-ci, Grace Hopper rédigea le premier manuel de programmation informatique du monde, contribua au calculateur le plus aisément programmable de la seconde guerre mondiale, le Mark I de Harvard, encore électromécanique, ainsi qu’au développement du langage COBOL avec Betty Snyder (Holberton). Ou encore Jean Jennings, une des programmeurs de l’ENIAC. Puis, il faudra attendre l’entre deux guerres pour voir émerger des recherches et des tentatives d’élaboration de machines avant tout pensées dans un contexte scientifique et militaire, à savoir effectuer des calculs et résoudre des équations plus rapidement que le cerveau humain.

    Viennent ensuite à nos oreilles des noms plus familiers comme Alan Turing et John Von Neumann, ou moins connus mais pourtant incontournables comme Vannevar Bush, John Vincent Atanasoff, Konrad Zuse, John Mauchly, J. Presper Eckert, les pionniers des computers ou calculateurs. C’est d’ailleurs à ces deux derniers que l’on doit la création du premier ordinateur électronique universel, programmable et fonctionnel, ENIAC, à l’origine de tous les ordinateurs conçus dans les années 50 aux Etats-Unis.

    L’invention de l’informatique moderne

    L’invention qui fera toute la différence est presque concomitante à celle d’ENIAC, le transistor créé dans les laboratoires Bell en 1947, par Walter Brattain, John Bardeen, et William Shockley. Une innovation capitale pour l’essor du numérique comme la machine à vapeur le fut pour la révolution industrielle. Puis celle du circuit imprimé par Robert Noyle et Gordon Moore chez Fairshild Semiconductor (qui fonderont ensuite Intel), et Jack Kilby chez Texas Instruments.

    Il manquait une interface à ces machines afin de permettre aux hommes d’interagir avec elles, et c’est là que Douglas Engelbart, un des pères de l’intelligence augmentée, entre en scène en inventant la souris en 1961, et le NLS en 1968 ou oNLine System, un système d’édition numérique préfigurant les blogs, de partage de documents, d’interface graphique avec multifenêtrage, de liens hypertextes, qui conduirait à la révolution du PC via son protégé Alan Kay au Xerox PARC, et Apple. Son NLS fut l’objet de la démonstration technologique la plus influente de l’ère numérique, « la Mère de toutes les démos ». Au cours de celle-ci, Engelbart démontra presque tout ce qu’un ordinateur relié au réseau peut faire aujourd’hui.

    Bien entendu, ce tour d’horizon ne serait pas complet sans les figures de Steve Jobs et Steve Wozniac (Apple), Bill Gates et Paul Allen (Microsoft) pour les plus médiatiques. Mais aussi de figures moins populaires mais déterminantes dans la création d’Internet et du Web telles Robert Metcalfe (Ethernet), Vinton Cerf et Bob Khan(TCP/IP), Tim Berners Lee (Web), Marc Andreesseen (navigateur Mosaic).

    Un livre pour mieux comprendre le processus d’innovation

    Pour reprendre les paroles de Ralph Brown lors de la présentation à la presse du transistor,

    « La recherche scientifique est de plus en plus reconnue comme le travail d’un groupe ou d’une équipe […] Ce que nous avons pour vous aujourd’hui représente un bel exemple de travail d’équipe, de brillantes contributions individuelles, et de la valeur de la recherche fondamentale dans un cadre industriel. »

    Cette citation est capitale car elle réunit deux éléments essentiels :

    • L’importance de la collaboration d’esprits brillants et de personnalités différentes tels que les duos formés par Mauchly et Eckert (le premier ordinateur), Bardeen et Brattain (le transistor chez Bell), Jobs et Wozniak (le PC Apple), Bushnell et Alcorn (Atari)
    • Le besoin de financements énormes pour la recherche fondamentale qui conduisit un personnage central, Vannevar Bush, à les structurer en un complexe militaro-industriel et universitaire qui fut lui-même une des «innovations significatives qui contribuèrent à produire la révolution technologique de la fin du XXème siècle», et qui serait à l’origine de nombreuses innovations telles qu’Internet.

    Ils donneront naissance à leur tour à deux innovations incarnées dans la société Intel (fondée par. Robert Noyce, Gordon Moore et Andy Grove après leur départ de Fairshild Semiconductor) :

    • la création d’une culture d’entreprise avec un nouveau genre de management, horizontal et collégial, fondée sur la méritocratie, la responsabilisation personnelle et l’innovation (notamment par les espaces de travail qui favorisent les rencontres et la collaboration)
    • le capital-risque nécessaire à leur financement (voire le rôle central d’Arthur Rock)

    À ces deux facteurs s’ajoute la symbiose des industries, un aspect important de l’innovation et du développement de nouveaux marchés, celle de l’informatique et des circuits intégrés (puces), comme le furent celles du pétrole et de l’automobile.

    L’innovation se produit par étape

    L’innovation se produit par étapes : invention, puis production, enfin l’entreprenariat (créer de nouveaux marchés), comme Pat Haggerty, VP de Texas Instruments, qui fut un des premiers à savoir utiliser le transistor en inventant la radio de poche à transistor en 1954, le Regency TR-1, depuis nommée «transistor». Convergence parfaite avec la sortie de That’s All Right, Mama, premier enregistrement commercial d’Elvis Presley, qui fit du Regency TR-1 un des premiers objets générationnels, disponible en noir, ivoire, gris nuage, et rouge. Cela ne vous rappelle rien ? Il fut aussi un des premiers à trouver un usage grand public aux circuits intégrés dès 1967 avec le lancement de la calculatrice de poche de Texas Instruments.

    Regency TR-1

    L’innovation porte la marque du milieu culturel dans lequel elle est née

    Ce livre est surtout l’occasion de réfléchir aux deux systèmes constitutifs de l’innovation qui ne cessent de s’affronter, entre guerre financière et rêves démocratiques, et se rencontrent parfois comme aux origines d’Apple : le système propriétaire des brevets et celui de l’open source. Il semblerait que les logiques propriétaires favorisent l’innovation matérielle compte tenu des financements nécessaires dans un schéma industriel de recherche et de production. La logique open source, elle, serait plus favorable à l’innovation logicielle dans un schéma intellectuel collaboratif, comme pour Internet, le Web et certains logiciels par exemple.

    L’ordinateur est l’expression et l’émanation des forces sociales des années 1960 dont les univers s’interpénétraient :

    • Les hackers issus du MIT
    • Les hippies issus de la Beat Génération avec Ken Kesey, auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou.
    • Les activistes de la Nouvelle Gauche pour la liberté d’expression et contre la guerre du Vietnam
    • Les communautaristes de la Whole Earth pour le partage des ressources mais contre l’autorité centralisée

    Leurs aspirations ? Rendre la technologie ouverte, sympathique et conviviale plutôt qu’intimidante, mystérieuse et orwellienne au service du Big Business et du Pentagone, grâce à une création collaborative (DIO, do-it-ourselves plus que DIY, do-it-yourself) afin de libérer les individus des contraintes des institutions dans la prise en main de l’accès à l’information, qu’elles soient gouvernementales ou industrielles (cf. Lee Felsenstein).

    Le mépris de la contre-culture pour l’autorité centralisée a fourni les fondements philosophiques pour la révolution de l’informatique individuelle toute entière .

    Une des figures emblématiques de ce rapprochement entre technophiles et hippies fut Stewart Brand. Comme il l’écrira pour Time en 1995, « le mépris de la contre-culture pour l’autorité centralisée a fourni les fondements philosophiques pour la révolution de l’informatique individuelle toute entière ».

    Ce rapprochement se concrétisa en 1968 dans sa publication du Whole Earth Catalog et dans sa participation à « la Mère de toutes les démos » (cf. plus haut).« L’informatique, d’abord considérée comme un outil détestable du contrôle bureaucratique, fut ensuite accueillie comme un symbole de l’expression individuelle » (John Markoff). La machine remplit alors un rôle émancipateur sous la plume de Charles Reich (Le Regain américain) dans la mesure où elle peut désormais « servir des desseins humains afin que l’homme puisse redevenir une force créative, renouvelant et recréant sa propre vie ».

    À partir des années 1980, l’ordinateur individuel, Internet puis le Web, associés aux développements de l’intelligence artificielle actuels viendraient accomplir partiellement ce souhait dans les années à venir.

    Les innovateurs :  Comment un groupe de génies, hackers et geeks a fait la révolution numérique.

    de Walter Isaacson, 

    Éditions JC Lattes ou Le Livre de Poche

    Les Innovateurs: Comment un groupe de génies, hackers et geeks a fait la révolution numérique

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