E-book, en finir avec le livre ?

Nicolas Bariteau

Écrit par Nicolas Bariteau

Le confinement a eu un incroyable effet sur les e-books. Le livre numérique, comme le livre papier, ont connu un véritable engouement depuis mars 2020. De quoi être optimiste sur l’avenir de la lecture sous toutes ses formes. Mais se cacherait-il derrière ses usages une réalité plus complexe ? Quels changements le numérique opère-t-il sur nos pratiques culturelles autour du livre ?  Faut-il s’en inquiéter ou s’en féliciter ?

L’e-book et l’effet confinement

Selon IDBOOX, l’usage du livre numérique est est en plein essor lors des confinements. Avec la crise du Covid-19, il semble que les gens aient découvert le numérique, et pas seulement pour le télétravail. Certes les plateformes de jeux et de streaming vidéo comme YouTube, Netflix ou Disney + en profitent largement, mais ils ne sont pas les seuls. Rakuten Kobo a constaté une augmentation de 200 à 300 % des volumes moyens de lecture sur la dernière semaine de mars 2020 lors du premier confinement par rapport à la semaine précédente en France, en Italie et en Espagne.

Lors de cette période, il y aurait eu en France :

  • Plus d’un million d’ebooks gratuits (aucun chiffre sur les ventes payantes) téléchargés en seulement 24 heures et plus de trois millions en 72h ;
  • Une activité récente de lecture en une journée cinq fois supérieure à celle enregistrée seulement cinq jours plus tôt ;
  • Un temps consacré à la lecture qui a augmenté de plus de 100 % sur l’ensemble des appareils et en progression.

L’e-book et ses usages en 2020

Selon le 10ème baromètre du livre numérique 2020 réalisé par OpinionWay, 1 français sur 10 utilise tous les formats à sa disposition pour lire des livres (ebook, audio, papier). Ce qui, dit autrement avec ma perversité habituelle, signifie surtout que 90% des français n’utilisent qu’un ou deux formats, numérique ou papier, certains privilégiant le papier au numérique, et d’autres l’inverse. Il ne s’agit donc pas d’une rupture nette qui verrait le livre papier disparaître, mais plutôt la concrétisation d’usages mixtes en fonction du contexte de lecture. Une majorité des lecteurs ont ainsi lu un livre imprimé (85%), un livre numérique (72%) ou écouté un livre audio numérique (68%) sur les 12 derniers mois. Ils consacrent chaque jour 30 à 50 mn à la lecture de livres.

  • Les lecteurs de livres numériques et de livres audio CD ont un profil plus féminin et plus jeune que la population française.
  • Les lecteurs de livres audios numériques ont un profil plus masculin et plus jeune.
  • Les livres audio sont surtout privilégiés en situation de mobilité (dans les transports notamment), tandis que les livres numériques le sont lors des déplacements quotidiens et dans le cadre professionnel.
  • Livres numériques et livres imprimés sont plébiscités au domicile, pendant les vacances et le soir au coucher.
  • Le livre papier reste cependant le choix de prédilection, et encore aujourd’hui, 53% des français préfèrent offrir un livre imprimé plutôt qu’un livre numérique.

Le livre papier demeure la technologie la plus aboutie lorsqu’il s’agit d’appréhender un texte. Comme le disait Marshall McLuhan, le média (le support) n’est pas neutre. Ceci explique pourquoi la fermeture des librairies fut si mal vécue lors des confinements, l’e-book ne pouvant le remplacer. De plus, nous constatons que la pratique de lecture est plus assidue (38% des lecteurs) ou plus régulière (20%) pour les livres imprimés que pour le livre numérique (18% et 19%).  En 2020, seulement 25% des Français (12,9 Millions) ont déjà lu un livre numérique.

L’e-book, fossoyeur du livre papier ?

L’ordinateur, Internet et le Web ont provoqué un changement majeur à l’échelle planétaire, comme le firent précédemment la machine à vapeur et l’électricité. Les innovations technologiques rencontrèrent toujours leurs lots de prosélytes béats et de détracteurs bornés hostiles au changement. Lorsque la peur s’installe, le discours complotiste n’est jamais très loin, jusqu’à s’immiscer là où on ne l’attend pas. Figurez-vous, que la liseuse que l’on vous a peut-être offerte ce Noël ou qui ne vous quitte plus depuis quelques années est devenue pour certains l’incarnation même de ce complot.

Certains, comme Cédric Biagini, auteur du passionnant livre « L’Emprise numérique. Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies » paru aux Éditions de L’échappée en 2012, pensent que les technophiles, inconscients bien entendu du danger qui les menace, ne percevraient les technologies numériques, comme toutes celles qui le précédèrent, que sous l’angle d’un progrès continu et salvateur pour l’humanité. Les technophiles seraient tous aveugles et prosélytes, alors que les technophobes seraient les vigies qui alertent et éclairent le monde. 

Pour être honnête  je ne pense pas que la majorité de ces amateurs de technologies se soient même posé la question. Leur comportement est plus consumériste qu’idéologique. Faire la queue pendant des heures devant un Apple Store pour acheter le nouveau produit iconique de la marque à la pomme n’est certainement pas vécu par ces personnes comme un acte militant et conscient de participer au progrès. Il s’agit bien plus d’une représentation de soi, de sa place au sein de la société, fusse-t-elle de consommation. La liseuse, et l’e-book qu’elle contient, sont pour la majorité des gens bien inoffensifs, une simple transposition d’un texte sur un écran qui permet de transporter sa bibliothèque avec soi, comme l’iPod le permit pour la musique il y a plus de 15 ans déjà. Mais les tenants du complot technophile voient les choses bien autrement.

L'emprise numérique : Comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies de Cédric Biagini

Un complot des GAFA contre le livre émancipateur ?

Toujours selon l’auteur, certaines entreprises auraient hourdis une conspiration contre le papier et l’humanité et voudraient imposer l’e-book à la place du livre papier. Ces tenants de l’e-book ? Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et des pouvoirs publics, tous comploteurs contre le livre papier émancipateur qui libéra pourtant l’humanité de l’obscurantisme, et fit progresser la connaissance. Selon Cédric Biagini, « la dématérialisation du livre ne consiste pas à augmenter la diffusion des textes et de la lecture, mais bien à liquider l’esprit dont l’imprimerie est à l’origine. » À quel dessein ? Le contrôle des lecteurs réduits à l’état de doux moutons manipulables dénués esprit critique ? 1984, le retour ? Soyons sérieux ! Bien sûr que le livre permet l’introspection et peut développer l’esprit critique. Le livre a pourtant aussi permis à des idéologies subversives et dangereuses de se répandre, à de talentueux penseurs de manipuler les foules. Et, que je sache, les lecteurs lisent plus Musso que Voltaire.

Les victimes du numérique ? Ceux qui s’adapterait, à marché forcée bien entendu, seraient les victimes du « mécanisme de la prophétie autoréalisatrice », du capitalisme industriel dont la force serait « de pouvoir laminer des pans entiers de l’activité humaine en persuadant ceux qu’il détruit qu’ils n’ont aucun autre choix, et que la meilleure solution pour eux est de participer à ce mouvement de décomposition ». Rien que ça ! Des victimes forcément dénuées de cerveau. Bien sûr que le numérique favorise le divertissement et l’émotionnel par la prédominance de l’écran adapté au format image. On ne compte plus le nombre de vidéos de personnes talentueuses dans les domaines du sport, de la musique, des sciences, de la créativité au sens large. Et que dire des MOOC et des tutoriels qui favorisent le partage des connaissances et des savoirs faire.

Concernant l’écrit, il permet aussi d’accéder en un clic à des connaissances numérisées qui étaient souvent inaccessibles compte tenu de leur fragilité ou de leur pays de conservation. Bien sûr que les GAFA veulent imposer leurs produits pour faire des bénéfices ! Et ils utilisent des arguments et techniques vieux comme le monde, du moins depuis que la société du commerce a vu le jour. Mais la société consumériste est née bien avant eux. Ceux sont des entreprises commerciales au management parfois (souvent ?) répréhensible. L’homme a toujours exploité l’homme. De là à voir un complot. Le problème n’est pas la technologie mais l’Homme.

Liseuse e-book Kindle

Et si le numérique enrichissait l’expérience de lecture

La révolution numérique est une révolution technique et culturelle comme le fut l’imprimerie, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle lui est similaire ou que ses promoteurs le pensent. La liseuse ne peut se substituer au livre qui est le support le plus aboutit pour la lecture. Il s’agit d’un support différent permettant le transport et l’accessibilité à un nombre conséquent de livres et de documents ou média connexes au texte originel, en local ou via une connection. Lire un texte du XXème siècle et pouvoir en annexe accéder à un corpus d’informations, consulter des photos d’archives ou interviews de l’auteur, des images d’actualités contemporaines, des critiques, serait enrichir l’oeuvre et sa compréhension. À condition bien sûr que ces données n’interfèrent pas avec l’oeuvre en les intégrant au texte.

L’unicité de l’oeuvre doit primer. Et c’est là un des dangers potentiels que soulève Cédric Biagini qui dénonce la pensée de certains militants du livre numérique qui voudraient que le livre devienne un « objet hypermédia, la combinaison de la technologie de l’hypertexte avec celle du multimédia ». Au bénéfice d’un objet culturel enrichi, « augmenté » comme disent certains, rendu « dynamique », mais au détriment de l’oeuvre écrite qui n’aurait pas été conçue ainsi par son auteur, et de l’expérience cognitive qu’elle génère et nécessite. Comme la musique numérisée ne remplace pas un concert live. Le numérique et le physique sont complémentaires tout en faisant vivre des expériences différentes. Il est en ce sens évident que le numérique pourrait donner naissance à de nouvelles oeuvres polymorphes dans leur format, plus complexes à créer, plus exigeantes à consulter par le lecteur devenu acteur, comme le web documentaire revisite le documentaire linéaire mais ne le remplace pas.

Cette lecture complotiste du monde numérique empêche toute critique rationnelle et enfermé le sujet dans une vision fantasmé qui empêche de lutter contre les dérivés réelles de nombreux acteurs de la Silicon Valley. Il m’aurait paru plus intéressant de questionner l’idéologie qui s’y développe et pose de nombreux problèmes pour nous, européens. L’auteur dénonce à juste titre certaines déclarations des pseudos experts médiatiques ou des businessmen du numérique dont les motivations personnelles sont bien en deçà des enjeux soulevés par la transformation de nos sociétés avec le numérique. Il met en lumière les risques qu’il fait peser sur le modèle de nos sociétés. C’est vrai, mais cela ne permet pas de prendre la hauteur nécessaire. Cette vision anxiogène du numérique cristallise plus qu’il n’ouvre des perspectives sur la base de choix mûrement réfléchis sur ce que doit être ou ne pas être la composante numérique de notre monde.

Le problème n’est pas la technologie mais l’homme.

L’emprise numérique – Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies.

Cédric Biagini, Éditions L’échappée

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L'emprise numérique : Comment internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies de Cédric Biagini

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